Convictions et réflexions sur l’engagement en entreprise aujourd’hui
« MAINTENIR L’ENGAGEMENT » voici un mantra que nous entendons régulièrement dans le cadre de nos interventions. Une quête qui s’apparente presque à la recherche du Graal en ces temps marqués par la généralisation du télétravail (pour le quart de la population française) et la nécessité pour les entreprises de s’adapter en permanence à une concurrence mouvante et un contexte géopolitique lui aussi imprévisible, bref un monde VUCA (1).
Alors comment faire pour donner aux collaborateurs l’envie de s’engager dans des projets d’entreprises qu’ils ne comprennent pas toujours et dont ils ne sont qu’un rouage ?
A travers ce billet je souhaite partager avec vous mes convictions et mes réflexions sur le concept d’engagement et comprendre comment mobiliser les collaborateurs quand tout est compliqué… voire tout va mal !
REFLEXION #1 – L’ENGAGEMENT, C’EST QUOI ? RETOUR AUX SOURCES
Une clarification s’avère nécessaire, l’engagement comme d’autres concepts managériaux tend à devenir un mot valise…à la fin on ne sait plus trop ce que cela veut dire précisément.
A titre personnel, si je devais définir l’engagement, je le ferai autour de plusieurs idées :
– Mettre toutes mes compétences (savoir-faire et savoir-être) pour mener à bien les missions qui me sont fixées
– Faire partie d’une organisation dans laquelle je place ma confiance, pour réaliser des actions porteuses de sens (qui ne rentre pas en clash avec mes propres valeurs) pour un avenir meilleur (pour moi et pour les autres)
– Parce que je me sens engagé, je suis prêt à sortir de ma zone de confort, à challenger ma manière de penser, à accepter les moments d’incertitude et de remise en cause … pour atteindre l’objectif (ou l’ambition) défini avec mon collectif.
Ce que nous dit la littérature managériale : Chester Barnard, un des pionniers des théories managériales, a posé dès 1938 (2) les bases de l’engagement. Ses analyses ont permis de poser les fondations de ce concept, à savoir qu’un individu décide de s’engager dans une organisation :
- DE MANIERE VOLONTAIRE
Nous retrouvons le concept de libre volonté : l’engagement ne peut être imposé, ni décidé par le management ou une quelconque autorité.
- DE MANIERE TEMPORELLE
L’engagement est un choix non définitif : un salarié peut décider de placer son investissement ailleurs à un autre moment, dans une autre organisation.
- DE MANIERE STRATEGIQUE
Derrière ce terme de stratégie, Barnard nous rappelle ce que cela se base sur 3 critères :
1- le sentiment que la finalité de l’organisation peut être atteinte (Finalité, Sens)
2- le sentiment que la participation à l’organisation est la meilleure option possible (Appartenance)
3- le sentiment que la coopération est rentable pour lui / elle (Investissement rentable)
On le voit : l’engagement dans l’entreprise dépasse largement la simple appartenance. On y retrouve les notions :
- d’investissement : la coopération va-t-elle être rentable ? Pendant combien de temps ?
- de prise de risque : je prends le risque de m’engager de mon propre chef dans tel projet d’entreprise, sans toujours connaître ses chances de succès exactes,
- de contrepartie : je m’engage dans un projet d’entreprise, je donne ma contribution en attente d’une rétribution (le salaire… mais pas que, sociale, technique, affective ou politique).
Loin d’être un acte spontané, irréfléchi, instinctif ou désintéressé l’engagement est la résultante d’une décision reposant sur plusieurs points précis. L’engagement, dans une entreprise comme un projet pourrait se résumer au fameux WIIFM : What’s In It For Me ? (Qu’est-ce qu’il y a pour moi dans cette organisation, dans ce projet ?)
Loin d’être un acte spontané, irréfléchi, instinctif ou désintéressé l’engagement est la résultante d’une décision reposant sur plusieurs points précis.
REFLEXION # 2 – L’ENGAGEMENT : UN CONTRAT RELATIONNEL VOIRE UN CONTRAT MORAL
Plus que la résultante d’une décision unilatérale, l’engagement est bien la résultante d’un contrat entre le collaborateur et l’entreprise. Rappelons qu’étymologiquement “engagement” signifie “mettre en gage” (3) ce qui renvoie, au sens initial, à une notion juridique de “contrat, de promesse, d’obligation”.
L’engagement est donc un contrat moral réciproque : c’est l’Institution (= l’Entreprise) qui garantit le respect de l’intégrité et de l’éthique de ses collaborateurs, à tous les niveaux, en contrepartie d’un engagement de ceux-ci à la vision et aux objectifs de l’entreprise.
Autre illustration : lors de son discours inaugural en 1961, Kennedy avec sa célèbre allocution (4) invite ses compatriotes américains à définir leur contrat d’engagement dans la réciprocité… l’état lui s’étant engagé dans le programme New Frontier (5) visant à protéger les citoyens américians et améliorer leurs conditions de vie (électrification des zones rurales, assurance chômage, loi de protection de l’eau et de l’air, etc.). Le principe de réciprocité apparait clairement.
Aurait-on oublié que l’engagement est un contrat moral réciproque ? Les entreprises, mais également leurs collaborateurs ont autant de devoirs que de droits. Oublier cette réciprocité mènerait à une impasse.
REFLEXION #3 – L’ENGAGEMENT EN BERNE AU MOMENT OU IL SEMBLE PLUS NECESSAIRE QUE JAMAIS
On ne reviendra pas sur les nombreuses enquêtes faisant état de l’engagement des salariés en Europe et en France en particulier. Le dernier rapport State of the Global Workplace du cabinet Gallup en donne une vision assez complète (6).
La définition de l’engagement permet de mieux comprendre la situation à la lumière du contexte que traversent les entreprises et plus particulièrement la répétition de moments de crises : 2008 (Subprimes), 2020 (Covid), 2022 (Ukraine, Crise énergétique, inflation)… sans même évoquer les défis liés à la décarbonation de l’économie. Face à ces crises les entreprises ont eu tendance à favoriser les restructurations (via des programmes de réduction de coûts, des PSE, des réorganisations majeures, stratégie de repli sur un cœur d’offres ou de clients, réduction de la voilure etc.).
Les stratégies adoptées ces dernières années impactent fortement l’engagement des salariés :
- en renforçant le stress et l’incertitude sur leur situation actuelle
- en donnant peu de perspective positive sur leur avenir professionnel
- en dégradant les 3 dimensions de l’engagement stratégique :
– pourquoi s’engager sur un projet que l’on ne comprend pas toujours ? (Finalité, Sens)
– pourquoi s’engager si la collaboration actuelle ne semble plus être la meilleure option possible ? (Appartenance)
– pourquoi s’engager si l’on n’a rien à y gagner ? (Investissement rentable)
Au-delà des crises évoquées, c’est tout une dynamique mise en place par les organisations qui a impacté, sur la distance l’engagement des collaborateurs. Ces effets ont été bien documentés à travers différentes études (7). Dans ce contexte, sans méthode ou sans effort particulier, comment obtenir un engagement des salariés ? L’incertitude ou le risque leur étant en général difficilement supportable.
On le voit, ce que les organisations vivent actuellement ressemble à une rupture de contrat qui ne dit pas son nom, mâtinée d’un marché de l’emploi actif qui redonne la main aux collaborateurs, leur permettant d’être justement plus exigeants sur les termes du contrat implicite passé avec leur employeur. Et il semble que la problématique ne touche pas que la seule génération Y, Z ou W : tous les âges semblent concernés.
Paradoxalement, c’est précisément par gros temps que l’engagement des salariés semble le plus nécessaire pour les organisations afin d’avancer dans la tempête, trouver de nouvelles solutions, développer les innovations, faire les choses autrement.
Dans ce contexte, sans méthode ou sans effort particulier, comment obtenir un engagement des salariés, l’incertitude ou le risque leur étant en général difficilement supportable ?
A DEFAUT DE PANACEE, DES CONVICTIONS ET DES EXPERIENCES REUSSIES
On le voit, obtenir l’engagement d’un salarié c’est avant tout pouvoir le convaincre du sens de son action et générer un souhait volontaire (libre volonté) de prendre part à un projet collectif sur la durée (dimension temporelle) qui réponde aux 3 enjeux stratégiques :
- le projet fait sens à mes yeux (Finalité, Sens)
- ma participation à l’organisation est la meilleure option possible (Appartenance)
- j’ai un intérêt à participer activement dans cette relation (Investissement rentable)
Voici quelques pistes que nous avons explorées avec ANTROP lors de différents accompagnements et qui nous permettent d’en tirer des enseignements et valider nos convictions.
CONVICTION #1 – L’IMPORTANCE D’AFFIRMER UN PROJET COMMUN (Finalité, Sens)
Dans un environnement VUCA, la formulation d’un projet clair enlève une partie du stress et l’incertitude vécue par les salariés. A défaut de pouvoir toujours proposer un chemin meilleur pour le futur, proposer un projet collectif porté par des convictions et des valeurs crée un point de repère rassurant et stable, à condition que l’on y adhère.
Il nous semble donc impératif d’impliquer les équipes et les collectifs de travail dans une action d’appropriation active de ce projet. Nous l’avons vu à de multiples reprises, aussi bien pensé soit-il, tout projet d’entreprise ne génère pas automatiquement l’adhésion : qu’il s’agisse d’un changement de stratégie, une nouvelle politique de distribution, un projet de rapprochement, une nouvelle feuille de route produits.
Cette phase d’appropriation doit donner la parole aux salariés et leur permettre de s’approprier le projet en le questionnant, le challengeant, en identifiant les opportunités qu’il crée, en comprenant les impacts qu’il aura sur l’entreprise, les équipes les modes de fonctionnement.
Concrètement, les modalités de mise en place d’une telle appropriation son multiples, mais elles doivent répondre à quelques points essentiels :
- favoriser l’écoute et les échanges sur le projet d’entreprise, sans chercher à convaincre.
- collecter l’ensemble des feedbacks, idées, questions collectées
- accuser formellement réception de ces éléments
- répondre sur les points « chauds » qui nécessitent des clarifications voire des ajustements.
Cette phase d’écoute et de feedback est une étape indispensable pour susciter l’engagement en temps de crises. L’entreprise doit s’assurer que ses collaborateurs ont confiance en elle, se sentent soutenus par elle, considèrent que les décisions de l’entreprise sont « justes » (Finalité, Sens) et ont le sentiment qu’elle les écoute et est transparente avec eux.
Cette phase d’écoute des salariés, parfois perçue comme une « perte de temps » par les Directions est au contraire un moment conscrit dans le temps, telle une « purge » qui permet aux salariés d’avancer sans trainer leurs ressentis et opinions. Nous l’utilisons régulièrement cette approche pour faciliter l’appropriation d’une stratégie, d’un nouveau projet d’entreprise, d’une réorganisation et les mesures effectuées post-ateliers nous montrent un fort taux de satisfaction des salariés.
Cette phase d’écoute des salariés, parfois perçue comme une « perte de temps » est au contraire un moment conscrit dans le temps qui permet aux salariés d’avancer sans trainer leurs ressentis.
CONVICTION #2 – RECONNAITRE LES COLLABORATEURS ET LEUR DONNER UN PERIMETRE D’ACTION (Appartenance, Investissement rentable)
La compréhension et l’adhésion au projet d’entreprise s’il est nécessaire n’est pas suffisant : encore faut-il savoir comment, à titre individuel, chacune et chacun va pouvoir contribuer activement à celui-ci.
L’enjeu ici est d’envoyer un signal clair aux salariés sur le fait qu’ils ne sont pas des pions impuissants qui ne font que subir des situations qui les dépassent mais bien les éloigner de la position de spectateurs un peu passifs dont la contribution compte peu.
Il s’agit donc de les reconnaitre pour ce qu’ils sont et pas uniquement pour ce qu’ils font, concrètement cela peut s’effectuer par différents dispositifs :
- favoriser la mise en phase des valeurs individuelles et des valeurs de l’entreprise
- leur donner une plus grande autonomie (selon des principes affichés et partagés) pour laisser émerger les capacités d’innovation et de réaction tout en rappelant que le contrôle (plus sur les résultats que sur la manière de faire) est la contrepartie de l’autonomie qui leur est donnée.
- mobiliser les collaborateurs via des projets leur permettant d’étendre leur réseau au sein de l’entreprise pour renforcer leur lien d’appartenance au collectif.
De manière simple, une première étape de clarification du périmètre d’action peut consister en un exercice de clarification de ce qui est non-négociable (ce que nous appelons la zone rouge) et de qui constitue le périmètre d’initiative et d’innovation pour les équipes (ce que nous appelons la zone bleue).
La clarification du périmètre d’action peut commencer par la définition d’une zone rouge et d’une zone bleue.
CONVICTION #3 – ACCOMPAGNER LE MANAGEMENT
On le sait, les managers pris entre les équipes opérationnelles et les équipes de direction agissent souvent de manière contrainte. Paradoxalement, ce sont les managers qui incarnent au quotidien l’institution qu’est l’entreprise et constituent le premier maillon hiérarchique pouvant agir sur l’engagement des collaborateurs.
Comment faire pour redonner les moyens au management pour mobiliser leurs équipes ? Nous effectuons des constats similaires dans nombres d’organisation :
- les managers ne sont pas toujours à l’aise pour présenter le projet d’entreprise à leurs équipes, généralement parce qu’ils ne sont pas appropriés ce fameux projet.
- il existe peut de temps de rencontre, au-delà des rendez-vous opérationnels avec les équipes, pour évoquer le projet d’entreprise et prendre de la hauteur avec les équipes.
- les managers ne sont eux-mêmes pas toujours à l’aise avec les zones rouges et bleues évoquées plus haut : ils semblent dépossédés de leur marge d’initiative.
- les managers n’ont pas souvent l’occasion d’échanger entre pairs sur leurs enjeux et la manière de booster les équipes, ils évoquent généralement un sentiment de solitude sur ces sujets, chacun étant dans son silo.
Parmi les multiples pistes qui se dessinent, le codéveloppement managérial montre un bénéfice réel rapidement perçu par les managers. Echanger régulièrement entre pairs sur des sujets ou problématiques communes leur permet de prendre de la hauteur, mieux articuler le projet d’entreprise et se sentir mieux inclus dans la communauté managériale. Mieux accompagnés les managers montrent plus de dispositions à écouter leur équipe, les guider, les rassurer sur les enjeux.
CONVICTION #4 – ATTENTION à L’OBJECTIF ILLUSOIRE D’EMBARQUER TOUT LE MONDE
L’engagement ne se décrétant pas et relevant de choix individuels, s’imaginer que tous les collaborateurs seront engagés dans le projet d’entreprise est illusoire.
La sociodynamique (8) nous apprend que l’entreprise est remplie de stratégies d’acteurs, jeux communs, jeux personnels etc.
La carte des partenaires et la stratégie des alliés sont des grilles de lecture puissantes pour décrypter les différentes positionnements du collectif vis-à-vis d’un sujet spécifique (le point d’application).
Générer l’engagement des salariés nécessite généralement une stratégie en « plusieurs coups », en s’appuyant notamment sur les alliés pour générer un mouvement collectif et attirer les forces résistantes vers plus d’engagement.
La sociodynamique fournit des outils puissants pour passer à l’action.
En résumé
Travailler sur l’engagement nécessite de :
- s’accorder sur ce qu’est l’engagement de manière concrète (faire son boulot correctement ? respecter certains modes de fonctionnement collectifs ? savoir faire des heures sup’ lorsque nécessaire ? aider des collègues en difficulté ? respecter ses promesses ? un planning ?…)
- rappeler que l’engagement est un contrat moral réciproque : il engage les deux parties, chacune sur des points précis.
L’engagement ne se décrète pas, et les injonctions à l’engagement lorsqu’elles sont trop présentes peuvent contribuer au résultat inverse.
Il existe des pistes d’actions concrètes pour stimuler l’engagement des collaborateurs : les écouter, assurer leur autonomie, leur permettre d’exprimer ce “qui vaut pour eux” tout en s’inscrivant dans les valeurs de l’entreprise. L’accompagnement des managers constitue aussi un levier efficace d’engagement des équipes.
L’Institution (l’Entreprise) a donc un rôle essentiel à jouer dans les dispositifs et les moyens mis à disposition des salariés. Ces derniers restent néanmoins maîtres de leur décision de s’engager dans le projet d’entreprise, il faut accepter cette incertitude. Dans ce cadre, la sociodynamique peut venir en soutien pour rassembler le plus grand nombre autour du projet d’entreprise et donner des clés d’actions.