Carnet de route : 10 leçons que j’ai apprises des transformations complexes
Bienvenue dans ce nouveau post de notre série « Carnet de route ANTROP » initiée il y a 3 ans. Nous suivons le même fil rouge, à savoir : 1- Partager nos retours d’expérience, nos apprentissages, nos conseils issus du terrain pour alimenter vos réflexions, 2- Rentrer dans les sujets, au-delà des réflexions superficielles, 3- Livrer des contenus de qualité produits par une intelligence humaine.
Si ANTROP a été créée en 2022, les associés et les consultants du collectif ANTROP accompagnement des transformations depuis de nombreuses années. De ces décennies d’expériences cumulées, nous pouvons tirer quelques leçons, ou plutôt des principes directeurs pour accompagner les transformations complexes, nous vous en livrons 10.
C’est quoi une transformation complexe ?
Tous les changements en entreprise ne se valent pas : certains vont impacter plus ou moins profondément l’organisation, certains changements sont progressifs, d’autres brutaux, certains volontaires ou au contraire imposés. Les situations de changement sont nombreuses comme les stratégies d’accompagnement.
Parmi ces différents critères, nous définissons les transformations complexes notamment par le fait que :
- Elles engendrent des changements importants (par exemple une réorganisation d’ampleur, des modifications importantes à large échelle sur les métiers ou les technologies associées)
- La maturité et le contexte de l’organisation nécessitent des ressources dédiées à la gestion du changement. Le changement dépasse largement sa dimension « technique ».
Tous les changements ne sont pas des transformations complexes. On peut classer ceux-ci selon 2 critères :
1- Le niveau de soutien requis
2- L’importance du changementLes transformations complexes se retrouvent notamment dans le cadran supérieur droit.
LES 10 ENSEIGNEMENTS QUE NOUS TIRONS DES TRANSFORMATIONS COMPLEXES
Nous avons sélectionné les 10 enseignements les plus marquants. Nous les avons organisés en 3 catégories :
- Ce que nous avons appris, et qui se joue au niveau du CODIR (Senior Leadership ou équivalent)
- Les leçons concernant les principes méthodologiques
- Les enseignements plus opérationnels
Les éléments qui se jouent au niveau de la direction (codir / senior leadership)
Sans surprise, on va retrouver les sujets associés à la stratégie d’accompagnement et la genèse du projet.
# 1 : L’importance de l’alignement de la Direction (CODIR / Leadership Team) sur la cible
Notre benchmark sur les « Enjeux et défis des Directions de la Transformation » mené auprès de 70 organisations [1] fait apparaitre que parmi le Top 5 des obstacles d’une transformation, on retrouve :
- Le manque d’alignement des différentes Directions métiers sur une feuille de route partagée,
- Et le manque de vision tangible sur les résultats attendus d’une transformation.
Or, ce sont bien précisément deux responsabilités essentielles d’un CODIR (ou d’une Leadership Team). Ces 2 sujets font l’unanimité à la fois dans les grands groupes mais aussi les PME.
Si l’on peut préférer le terme de « convergence » plutôt que d’« alignement », l’objectif est le même : s’assurer que les Métiers, les Décideurs s’accordent sur une cible possiblement la plus précise et opérationnelle. Cela nécessite du temps, pour dépasser les poncifs, quitter les visions génériques ou « haut niveau », assumer les divergences de points de vue pour trouver un compromis (ou privilégier une vision si celui-ci n’est pas possible). C’est un travail qui débute en amont, dès la genèse du projet, pour lequel une intervention externe peut aider à faciliter le dialogue, apporter des éléments méthodologiques et des éclairages d’autres organisations.
# 2 : L’effet « bus articulé » ce qui est clair pour un dirigeant ne l’est pas forcément pour les collaborateurs
C’est un classique des transformations. Nous utilisons souvent cette métaphore pour décrire les dynamiques de changement au sein d’une même organisation. Prenons l’exemple d’un bus articulé devant aborder un virage (plus ou moins serré). Le chauffeur aux commandes du bus, a vu le panneau annonçant le virage, son cerveau a enregistré l’information et a envoyé toute une série à son corps pour anticiper le virage : son attention est renforcée, ses mains et son corps sont dans la meilleure position possible pour aborder la courbe… si bien que lorsque le bus dévie sa route, le chauffer vit ce changement de direction de manière presque naturelle.
Mais qu’en est-il du passager installé tout au fond du bus ? Il n’a vu ni le panneau, ni anticipé le changement de direction, et lorsqu’il ressent les premières secousses ou que son corps se déplace sous l’inertie du mouvement, il est trop tard : le virage a déjà été abordé… le bus est déjà sur une autre voie.
Si l’on ne peut pas éviter les changements, il est important pour l’équipe de Direction, de ne pas avancer dans l’évidence que, ce qu’elle a imaginé et qui lui paraît clair et cohérent, est partagé par l’ensemble des salariés. Avant même de comprendre le changement, peut-être que certains n’en ont même pas connaissance.
Concrètement, l’effet « bus articulé » se traduit par des chutes de compréhension et d’engagement dans le changement de 15 à 20 points à chaque niveau hiérarchique.
Nous avons déjà publié complet sur ce sujet [2].
À l’image du chauffeur de bus qui aborde un virage, les équipes de Direction ont généralement imaginé et anticipé le changement et se le sont appropriés… mais qu’en est-il du passager installé au fond ?
# 3 : Disposer d’un Sponsor à l’aise dans son rôle et l’exercice de ses prérogatives
Au lancement d’un projet, la question du Sponsor se pose systématiquement. J’observe que pour les transformations complexes, la définition d’un Sponsor est souvent un exercice se limitant à choisir une personne « bien positionnée » dans l’organisation. Or, ce critère ne suffit, l’expérience me montre qu’« être un bon Sponsor » n’est pas une chose innée, loin de là. Être un « bon Sponsor » ne limite pas à figurer sur les photos d’inauguration ou passer une tête tous les 6 mois dans une réunion projet.
En effet, les Sponsors qui exercent pleinement leur rôle possèdent 3 caractéristiques communes :
- Ils démontrer un fort intérêt pour le projet
Concrètement, ils / elles sont impliqué.es, portent le changement, montrent l’exemple par leurs actions, sont régulièrement présents sur le terrain, dans les équipes pour expliquer le projet, écouter les feedbacks et enfin communiquent régulièrement sur le projet. - Ils sont reconnus comme des leaders du changement
Ils / elles sont capables d’embarquer leur équipe de Direction dans le projet pour mobiliser le collectif (management intermédiaire, de proximité, etc.). Ils / elles sont reconnu.es par les collaborateurs pour leur capacité à faire bouger l’organisation au service du projet.
- Ils prennent des décisions de manière volontaire pour préserver le cap du projet, et savent aussi utiliser les difficultés remontées du terrain pour trouver des moyens de résoudre des points bloquants non-anticipés.
Ils / elles sont compétent.es pour prendre les décisions, en suivant régulièrement l’avancement du projet, en garantissant la disponibilité des ressources et en facilitant les conditions du changement.
ANTROP accompagne les Sponsors pour les aider à comprendre et jouer pleinement leur rôle.
# 4 : On peut faire tous les plans possibles, le projet commence réellement le jour J
Autre écueil récurrent : imaginer que les équipes sur le terrain vont « naturellement » aller à la cible préalablement définie. Sous prétexte que beaucoup de choses ont été pensées en amont, le fameux « jour J », il suffirait d’appuyer sur un bouton et par magie toutes les pièces du puzzle patiemment préparées s’ajusterait parfaitement entre elles : dans le cas des transformations complexes c’est évidemment un vœu pieux. La conséquence est que nombre de transformations connaissent des lancements « compliqués » parce que ce fameux jour « J » a été pensé comme un point d’arrivée alors qu’il s’agit d’un point de départ.
Il s’agit bien de l’écart entre le « plan » et la « réalité dans tout ce qu’elle a d’imprévisible, parfois d’illogique, et d’humain.
Le Change Management est là pour assurer le continuum entre le design de votre transformation et sa mise en œuvre opérationnelle post déploiement ou « Go Live »
Les leçons concernant les principes methodologiques
#5 : Ne pas se cantonner à une approche mécaniste mais s’appuyer sur un dispositif d’accompagnement adaptatif, agile
Ce principe d’action trouve de multiples déclinaisons :
- Agilité dans la méthode
Cet apprentissage personnel est confirmé par notre benchmark sur les « Enjeux et défis des Directions de la Transformation » [1] précédemment évoqué. Les approches existantes sont multiples : ADKAR, KOTTER, Théorie en U, Sociodynamique… elles fournissent un large panel de stratégies et d’outils pour aborder différentes situations.
Par exemple, si le modèle ADKAR propose une approche intéressante pour quantifier le positionnement des équipes vis-à-vis d’un changement donné, la stratégie des alliés est particulièrement puissante pour analyser les postures des différents acteurs et mettre les collectifs en mouvement.
Il ne faut donc pas hésiter à associer les outils et les approches afin de répondre de manière judicieuse aux situations rencontrées.
- Agilité dans le pilotage
A l’agilité méthodologique s’adjoint une agilité dans le pilotage.
Sans représenter les principes agiles connues des organisations depuis 20 ans, un pilotage efficace se doit d’être régulier, aux bons niveaux (en central et sur le terrain) pour capter rapidement les signaux du terrain, les éventuels points de freinage et rapidement définir et déployer les actions qui s’imposent. Sans ce pilotage agile, les organisations prennent le risque de voir leur transformation complexe patiner voire s’enliser.
# 6 : Comprendre qui sont ses alliés et s’appuyer sur ces derniers
« Un projet ne meurt pas du fait de ses opposants mais du cruel manque d’alliés : seuls les vrais opposants ne sont pas des alliés potentiels. ». [3]. C’est un des enseignements clés de la sociodynamique, la science de l’action. Dans de nombreuses transformations, j’observe des porteurs de projets (ou des Sponsors) qui peuvent :
- Estimer que si une personne n’affiche pas un soutien inconditionnel au projet, alors cette personne est considérée comme un « opposant ».
- Mobiliser leur énergie à essayer de convaincre des poches des opposants radicalisés face au projet de transformation.
La sociodynamique propose notamment une grille de lecture dite la « carte des partenaires » qui permet de :
- Quitter la vision binaire consistant à pense que l’on est « pour ou alors contre » un projet et comprendre la subtilité des positionnements des différents acteurs d’un projet,
- Comprendre comment agir de la manière la plus pertinente selon les profils identifiés pour débloquer des situations, mettre en mouvement des collectifs, transformer les « freins » en « leviers » de changements,
- Comprendre comment construire un réseau d’alliés autour du projet surtout ne pas concentrer ses efforts sur les « irréductibles Gaulois » qui seront toujours vent debout contre le projet.
La Sociodynamique et sa fameuse « carte des partenaires » est un outil puissant pour décrypter les différentes postures et identifier les leviers d’action pour mettre le collectif en mouvement.
# 7 : Co-construction pour mobiliser les personnes sur des sujets choisis
C’est un principe simple souvent négligé : introduire une dimension de co-construction dans la définition d’une cible (pour une transformation) augmente fortement l’acceptation du changement. Parce que la co-construction réelle permet de mettre en place un changement qui prend en compte la réalité des contraintes des métiers au quotidien.
Notre propos n’est pas de pratiquer la vox-populi sur tous les sujets : ce ne serait ni souhaitable, ni faisable ni même pertinent. En revanche, dans la conception de la cible et son déploiement, il peut être intéressant de mobiliser les équipes opérationnelles sur des sujets précis qui sont « à leur main ».
Qui n’a jamais vu une cible ou une feuille de route du changement conçus « par les experts » sans mobilisation de tout ou partie de la population impactée ? On sait souvent qu’il est difficile de « vendre » ladite solution aux personnes concernées (surtout si elle ne prend pas en compte certaines contraintes opérationnelles).
Les modalités de co-construction sont nombreuses, mais dans tous les cas, il est essentiel de définir en amont ce que nous appelons la « zone rouge » (qui est non-négociable) et la « zone bleue » (ce qui constitue le périmètre d’initiative et d’innovation pour les équipes).
Nous présentons plus en détail cette démarche ici [4].
Les enseignements plus opérationnels
# 8 : Avoir un réseau d’ambassadeurs du changement
Il n’est pas rare que des transformations soient pilotées presque exclusivement par les équipes projet : les responsables de chantiers, les PMO, les responsables de programmes, le chef de projet… sans parfois s’appuyer sur des relais locaux que nous nommons « ambassadeurs ». En faisant l’impasse sur un ancrage terrain :
-
- Les signaux (insatisfactions, questionnements, résistances, …) peuvent mettre beaucoup de temps à remonter, générant à terme un patinage (voire un enlisement) de la transformation,
- La communication peut devenir trop « officielle » en passant exclusivement par e-mails ou par les « newsletter » projet,
- L’incarnation de la Transformation peut manquer (notamment si le Sponsor n’est pas très visible).
Pour ces différentes raisons, des relais terrain sont intéressants (et très utiles). Ce réseau d’ambassadeurs peut être construit de différents façons et peut s’appuyer différents types de profils : – HR Business Partners, – Volontaires dans les équipes…et bien-sûr les Managers de proximité !
Nous aurons l’occasion d’évoquer le rôle d’ambassadeurs dans un autre article.
# 9 : S’appuyer sur des indicateurs
ANTROP a déjà publié plusieurs articles [5] et webinaires [6] sur le sujet.
# 10 : REX / Rétro : pour capitaliser sur les réussites et apprendre des erreurs
Effectuer un REX (Retour d’Expérience) ou une Rétro (Rétrospective) est souvent évoqué au lancement d’un projet de transformation. Malheureusement une fois le projet lancé, comme une actualité en chasse une autre, un nouveau projet prend la lumière et la nécessité de préparer un REX se fait soudain moins pressant : dans les faits, cette situation se traduit par un très faible nombre de REX post-transformation.
Un autre contributeur de cette situation est la difficulté qu’ont certaines organisations à définir préalablement une vision commune de la cible et des indicateurs de succès associés (voir le point #9 précédent).
Les intérêts d’un REX sont pourtant multiples, nous pouvons en citer quelques-uns :
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- Alimenter les principes d’amélioration continue au service de l’apprentissage organisationnel, en identifiant les éléments de la transformation qui ont bien fonctionné, délivré les résultats escomptés mais également tirer les apprentissages des éléments de la transformation qui ont moins bien fonctionné.
- Permettre une optimisation des ressources pour les transformations suivantes. Les enseignements tirés sont un levier important dans l’optimisation de l’utilisation des ressources, qu’elles soient humaines, financières ou matérielles.
- Alimenter une meilleure gestion des risques. Les apprentissages d’un REX permettent également d’intégrer pour les transformations suivantes les risques non-anticipés et/ou réévaluer l’importance des risques dans cette même optique.
- Renforcer la motivation et l’engagement des équipes. En impliquant les collaborateurs dans le processus de REX, celui-ci peut booster leur motivation et leur engagement. Le partage des apprentissages d’un REX au sein de l’organisation est perçu par les équipes comme un processus précieux et un signe d’ouverture et de transparence de la Direction, par ailleurs ce processus valorise leurs contributions au projet.
Souvent négligée, l’étape de Retour d’Expérience (REX) reste une étape indispensable pour apprendre des erreurs et capitaliser sur les réussites du projet.
En synthèse
Les transformations complexes constituent une source d’apprentissage permanent. Comme tout projet, elles nécessitent une approche structurée afin de ne pas négliger des étapes importantes.
Les méthodes de Change Management proposent un cadre, des étapes, des outils, pour autant il faut ne faut pas faire abstraction de quelques règles empiriques, issues du terrain :
- L’importance de l’alignement de la Direction (CODIR / Leadership Team) sur la cible
- L’effet « bus articulé » ce qui est clair pour un dirigeant ne l’est pas forcément pour les collaborateurs
- Disposer d’un Sponsor à l’aise dans son rôle et l’exercice de ses prérogatives
- On peut faire tous les plans possibles, le projet commence réellement
Jour-J - Ne pas se cantonner à une approche mécaniste mais s’appuyer sur un dispositif d’accompagnement adaptatif, agile
- Comprendre qui sont ses alliés et s’appuyer sur ces derniers
- La co-construction pour mobiliser les personnes sur des sujets choisis
- Avoir un réseau d’ambassadeurs du changement
- S’appuyer sur des indicateurs
- REX / Rétro pour capitaliser sur les réussites et apprendre des erreurs.
En respectant ces quelques principes, de nombreux écueils s’estompent et votre transformation voit ses chances de réussir renforcées.
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