Dernier volet de notre triptyque :
Passage à l’action !
C’est leurs expertises complémentaires dans la transformation des organisations qui ont fait rencontrer Élodie Perreau (anthropologue Phd) et Jean-Marc Cazeneuve (consultant en excellence opérationnelle). Élodie et Jean-Marc accompagnent les hommes, les femmes et les organisations dans leurs transformations profondes, par le décryptage de leur culture et le déploiement de nouveaux modes de travail.
Après avoir clarifié les sujets que sont la culture d’entreprise et l’excellence opérationnelle, Elodie et Jean-Marc nous présentent les grands traits de leur intervention et l’identification des sujets problématiques : le cœur de leur démarche.
Dans un dialogue en trois volets, ils évoquent ensemble un aspect essentiel de la pérennité des entreprises,
la nécessité de s’adapter en plaçant les femmes et les hommes au cœur de la transformation.
La culture d’une entreprise évolue avec le temps.
Votre travail en offre une photographie à un instant T.
Comment les dirigeants se l’approprient-ils ?
Élodie Perreau – Le premier pas relève de la prise de conscience. Nos travaux conjoints leur apportent des éléments objectifs, donc les moyens de mesurer l’écart entre l’image qu’ils pouvaient se faire de leur organisation et la réalité du terrain. Nous agissons dans un premier temps comme un miroir.
Jean-Marc Cazeneuve – Parallèlement à la prise de conscience, nous identifions les sujets très opérationnels, directement structurés par la culture : le pilotage de la performance, la manière de résoudre les problèmes, l’implication des collaborateurs dans la performance quotidienne des équipes… Le dirigeant de l’organisation dispose alors d’un ensemble de leviers opérationnels et culturels qui vont lui permettre de définir ses priorités en termes d’actions et de mettre en place sa démarche d’excellence opérationnelle en comprenant les enjeux qu’elle représente pour ses collaborateurs. Une démarche d’excellence opérationnelle sérieuse tient compte des spécificités culturelles propres à chaque entreprise. En aucun cas, ce peut être une solution préfabriquée, partout déclinable à l’identique.
É. P. – On n’applique pas la même démarche à des entreprises dont l’histoire et les profils sont très différents. D’où l’importance de ce travail d’analyse et de compréhension des modes de fonctionnement d’un collectif donné.
Si vos conclusions vont à l’encontre des convictions des dirigeants, sont-ils tentés de la contester ?
É. P. – Les contestations apparaissent rarement au moment de la restitution. Le storytelling (le récit de l’Homme de l’Entreprise) et les préconisations pour la mise en place d’une démarche d’excellence opérationnelle spécifique sont souvent bien reçus. C’est plutôt dans la phase d’évolution et de mise en œuvre que des blocages apparaissent : lorsque les dirigeants réalisent que les changements qu’ils veulent mettre en place les remettent eux-mêmes en cause en modifiant leurs postures. Ce n’est plus seulement la culture qui est en jeu, mais l’intérêt que certaines personnes ont ou non à changer l’organisation.
J.-M. C. – Les blocages commencent en général lorsque les membres du comité de direction comprennent qu’ils vont devoir eux-mêmes faire évoluer leurs modes de fonctionnement individuel et collectif. Une démarche d’excellence opérationnelle bouscule souvent les repères et les habitudes construites au fil du temps. Par exemple : l’animation d’une équipe, l’autonomie donnée aux individus et aux équipes, le respect de la hiérarchie… Contrairement aux idées reçues, l’enjeu n’est pas au niveau des outils mais bien au niveau des comportements.
La question de la coexistence de plusieurs cultures dans un collectif de travail se pose-t-elle ?
É. P. – Oui. Elle est particulièrement visible au lendemain d’une phase de fusion ou d’acquisition, ou lorsqu’une entreprise qui a connu une croissance rapide doit soudainement intégrer un grand nombre de collaborateurs venus d’autres univers.
J.-M. C. – Le même phénomène s’observe quand le top management et les salariés du terrain ont des cultures, des critères de réussite et de performance divergents. Un tel décalage nécessite une phase de clarification et d’ajustement pour faire éclore une vision commune et des manières de faire partagées. Je pense à cette entreprise dont la direction avait développé des tableaux de bords très élaborés, malheureusement inutiles aux managers de proximité qui se concentraient sur le pilotage quotidien de la performance.
Les pistes d’évolution qui découlent de vos interventions ne risquent-elles pas de se heurter finalement à une forme d’inertie ?
É. P. – Face au changement, nous passons tous par des phases de doute et de méfiance qui peuvent être qualifiées d’inertie par la direction. Si les individus ne trouvent pas leur compte dans le changement ou n’en voient pas l’intérêt, ils feront preuve d’une grande créativité pour développer des stratégies de contournement, d’évitement voire de sabotage. Le risque est effectivement, si les enjeux n’ont pas été clairement identifiés, de se trouver dans une impasse, avec un projet qui ne se mettra pas en place.
J.-M. C. – Une entreprise qui souhaite rompre avec une culture très contrôlante et mettre en place une démarche de performance décentralisée devra apprendre à développer la délégation et à parier sur l’autonomie des équipes. Cela peut être très efficace d’un point de vue opérationnel dans la mesure où ces principes d’action sont très appréciés sur le terrain. Cela peut néanmoins poser problème lorsque le management réalise qu’il perd au passage une partie de son pouvoir de contrôle. Le coup de frein qu’on observe dans ce cas de figure vient souvent du middle management.
É. P. – Il y a plusieurs niveaux et échelles d’intervention dans la démarche d’accompagnement. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire d’intervenir auprès des différentes fonctions sur plusieurs niveaux hiérarchiques, afin que chacun trouve sa place dans cette nouvelle organisation, s’ajuste avec les autres et s’ajuste avec son environnement, clients ou fournisseurs.
Assez naturellement, les entreprises souhaitent savoir combien de temps il leur faut pour que les évolutions naissantes se concrétisent. Que leur répondez-vous ?
J.-M. C. – Après l’étape du diagnostic, il y a plusieurs temps dans une démarche d’excellence opérationnelle. Dans un temps court, disons dès 6 mois, la mise en place de pilotes met en évidence les premières améliorations apportées à la performance des processus. Cette première expérience permet d’ajuster la démarche et de passer à une phase de démultiplication. C’est dans cette phase que la question de la temporalité se fait la plus pressante, selon les inerties et les difficultés rencontrées. On observe des gains mesurables et probants en productivité et en qualité de service sur une échelle de temps allant généralement jusqu’à 12 ou 18 mois.
Les améliorations que vous décrivez sont-elles pérennes ?
J.-M. C. – Après plusieurs années, beaucoup d’entreprises observent un plateau dans leur progression. Certaines sont alors tentées d’interrompre leur programme, estimant que la démarche n’est plus efficiente, alors qu’il faudrait justement la réactiver. L’étude réalisée par un constructeur automobile dans ses 78 usines avait mis en évidence cette courbe performance-temps en S. Certains de leurs sites avaient réussi à dépasser la phase de plateau, tandis que d’autres n’avaient pas réussi à transformer l’essai parce qu’ils s’étaient concentrés sur les seuls outils, sans prendre en compte la dimension culturelle.
Comment concrétiser dans l’entreprise la démarche que vous proposez aux dirigeants ?
J.-M. C. – Nous sommes convaincus que la culture change d’abord par l’action, par la preuve au quotidien, que la démarche engagée ne se limite pas aux mots et que d’autres façons de faire sont possibles. Formaliser une évolution culturelle passe par de nouveaux actes managériaux très simples en termes d’animation d’équipe et de délégation des tâches. Il ne suffit pas de lancer des campagnes de communication pour annoncer des objectifs, mettre en avant de nouveaux comportements et valoriser de nouvelles pratiques. Les collaborateurs attendent les preuves concrètes des changements annoncés.
É. P. – En matière d’accompagnement, le travail de groupe me semble nécessaire pour faire ressortir les points de désaccord et les blocages. C’est encore mieux si ces séances s’appuient sur des supports, des visuels et des techniques de mises en situation qui permettent d’incarner les nouvelles pratiques pour mieux s’en emparer. Je crois aux vertus du jeu dans ce type d’approches : « jouer, c’est faire » comme disait le pédiatre et psychiatre Donald Winnicott.
J.-M. C. – Le travail d’accompagnement varie selon la taille de l’entreprise : on ne déploie pas les mêmes modalités dans une entreprise de 500 personnes que dans une multinationale. Néanmoins, les incontournables sont de créer un espace et un temps dédiés au projet de transformation, développer le participatif, mener des actions concrètes aux problèmes remontés, clarifier les éléments non négociables de la démarche, s’appuyer sur les premiers succès rapides, rester simple et travailler par itérations. Le consultant est là pour montrer, faire avec et stimuler les équipes dans leurs efforts.
Quelles sont les conditions de la réussite d’une démarche d’ordre culturel ?
J.-M. C. – Les facteurs-clés de succès dépendent du type de changement que nos clients souhaitent opérer. L’exemplarité est incontournable, à commencer par celle dont doivent faire preuve les cadres dirigeants. Les consultants extérieurs n’ont pas de baguette magique et par définition ne restent pas chez leur client. La transformation ne fonctionne que si le plus haut niveau de l’entreprise porte le projet et le prouve sur la durée.
É. P. – Réussir, c’est un terme qui dépend aussi du sens qu’on lui donne. C’est aux consultants de définir avec le client les critères de succès qui sont les siens, ce qui est important pour lui dans cette démarche.
J.-M. C. – C’est notre rôle d’accompagner les entreprises dans la définition des moyens pour pérenniser leur démarche. Pour une entreprise, s’engager dans cette voie, c’est avant tout devenir le premier acteur de son évolution.
Propos recueillis par Jean-Christophe Piot.