Développer l’orientation client grâce à l’empathie

Antrop - Diagnostic de pratiques managériales et charte management.

Comment un collectif d’ingénieurs est devenu pro de l’orientation client

 

Il était une fois …

Il était une fois une tribu composée en majorité d’ingénieurs spécialisés, reconnus pour leur excellence et proches de la recherche. Ils menaient sereinement une mission d’intérêt général en faveur de l’environnement et du développement durable financés par des subventions publiques.

Un jour, ils durent faire face à un changement brutal. L’annonce tomba comme un couperet : les financements publics allaient se tarir au fil des années. Il leur fallait maintenant aller chercher de l’argent sur les marchés privés et, horreur, s’adresser à des « clients », « vendre » leurs produits et leurs services.

Le premier réflexe de leur chef fut de les réunir pour mettre rapidement une stratégie en place. Il leur fallait élaborer et vendre une « offre de service » et « développer l’orientation client ». Six volontaires acceptèrent de participer à un groupe pilote pour remplir cette mission. Les autres se tenaient prudemment en retrait, encore effrayés par ces deux mots : « clients » et « vendre » qui venaient bouleverser leur univers de recherche auquel ils s’identifiaient et tout ce à quoi ils croyaient.

Pour relever ce défi, leur chef décida de faire appel à une personne en dehors de la tribu afin de les accompagner dans cette évolution qu’il savait être délicate. Il prit des informations auprès de personnes de confiance appartenant à des tribus amies pour trouver des « spécialistes » à même de les accompagner dans cette transformation. C’est ainsi que notre route a croisé la leur pendant plusieurs mois.

Après avoir écouté la demande, et face aux craintes déclenchées par le projet, notre toute première action fut de faire un bilan. Pour cela, nous avons mené des entretiens, et organisé des groupes pour recueillir les histoires individuelles et l’histoire collective, le vécu de chacun face à ce bouleversement annoncé.

Ce recueil et ce premier moment d’écoute et d’échanges furent très appréciés et changèrent le regard sur ce projet expérimental. Tous voulurent alors participer au groupe pilote… ce qui n’était pas possible, mais la dynamique était lancée !

 

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Les candidats pour le pilote étaient rares, tant les mots « clients » et « vendre » faisaient peur.

Faire émerger le sens, une étape fondatrice

Le groupe pilote fut convié à une première réunion.
L’écoute en amont de chacun avait permis de mettre à jour l’histoire de la tribu, son évolution depuis sa création jusqu’à ce jour, de comprendre ce qui faisait sa spécificité. Chacun fut ensuite invité à identifier en quoi le fait d’élargir leur offre à des clients pouvait être en phase avec leur raison d’être autour du développement durable, voire la renforcer. Cette première prise de hauteur a été fondatrice pour la suite. La finalité orientée vers le développement durable était ce qui les animait. Elle a servi de boussole tout au long de l’expérimentation.

Comprenant en quoi le développement de leur autonomie financière pouvait être en cohérence avec leur raison d’être, ils purent alors parler plus sereinement de « clients » et de « vendre » des produits et des services. Ils purent projeter leurs axes de développement idéaux, tranquillisés quant à la cohérence du projet au regard de leur culture.

Une autre question se posa à la fin de la réunion : comment garder le lien avec le reste la tribu qui voulait maintenant participer à ce projet et qui risquait d’être frustrée si elle n’était pas impliquée d’une façon ou d’une autre ?

Ils décidèrent de créer un lieu de mémoire et de partage pour que chacun puisse suivre les avancées de leurs collègues et proposer des idées au fil de l’expérimentation. Les membres du groupe pilote restèrent cependant maître de leurs décisions prises en concertation.

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Ils décidèrent de créer un lieu  de partage pour que chacun puisse suivre les avancées de leurs collègues et proposer des idées au fil de l’expérimentation.

Le développement de l’empathie, un outil magique

 

La première question que nous avons soumis aux ingénieurs fut :
– « Pouvez-vous me dire de quelles façons les usagers utilisent vos produits et vos services ? »
– « … »

Ils n’en avaient en fait aucune idée.

Maîtrisant les techniques, au fait des résultats de la recherche fondamentale, considérés comme des « sachants » de ce qui était bon pour les usagers, mais incapables de savoir à quoi servaient ce qu’ils développaient, ils réalisèrent qu’il était temps d’aller explorer le monde.

Pour cela, ils durent se préparer. Acquérir une nouvelle posture appelée « empathie ». Ils apprirent à questionner « comme un ethnologue », dans la curiosité de l’autre, de sa réalité, de ses problèmes, de ses besoins. Sans jugement.

L’outil était puissant, il fallait savoir l’utiliser à bon escient. Ils s’entraînèrent avec conviction, heureux de découvrir que cette pratique nouvelle leur ouvrait les yeux sur des monde inconnus (1).

 

Exploration, mise en commun, priorisation

 

Une fois prêts, ils partirent en exploration questionner des personnes qu’ils pensaient connaître. Découvrant souvent avec surprise des usages insoupçonnés de leurs outils, et identifiant des besoins qu’ils n’auraient jamais pu imaginer. Ils remarquèrent aussi que la qualité du lien avec leurs interlocuteurs se trouvait renforcée à travers leurs échanges. Après plusieurs semaines de recueil d’information, ils se retrouvèrent pour partager leurs trésors.

Ils entreprirent alors de les mettre en commun, de les classer. De voir ceux auxquelles ils pouvaient répondre, ceux auxquels ils ne pouvaient pas répondre. Ne pouvant adresser tous les besoins en même temps, ils entreprirent de définir des priorités. Pour cela ils décidèrent de critères communs qui allaient guider leurs choix. Ils avaient qualifié une bonne partie des besoins de ceux qu’ils pouvaient désormais appeler sans complexe leurs « clients ». Ils y voyaient désormais plus clair sur l’offre de service utile qu’ils allaient pouvoir développer, tester et ajuster.

Chemin faisant, sans s’en rendre compte, ils apprenaient à se concerter de façon mutuellement respectueuse et efficace.

Riches de leur expérience qui avait bouleversé nombre de leurs croyances, ils initièrent leurs collègues aux pratiques un peu magiques il faut bien le dire du questionnement ethnographique qui permet de développer l’empathie. Ces derniers purent ainsi partir à leur tour recueillir les besoins de leurs interlocuteurs, développer la qualité de leur relation avec eux, enrichir l’offre de service et contribuer ainsi à l’équilibre financier de la tribu.

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Riches de leur expérience qui avait bouleversé nombre de leurs croyances, ils initièrent leurs collègues aux pratiques un peu magiques il faut bien le dire du questionnement ethnographique qui permet de développer l’empathie.

En résumé

 

Pour Antrop, ce « super pouvoir » qu’est l’empathie constitue un élément fondateur du développement d’une relation de qualité avec ses clients. Il permet de qualifier leurs besoins avec une grande précision, de comprendre leurs contraintes et leurs croyances et d’y répondre de façon plus pertinente.

Cette posture et cette façon de questionner sont repris dans les démarches de Design thinking. Ils représentent des éléments clé de l’innovation. L’empathie élargit notre regard sur le monde et permet d’envisager d’autres possibles.

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Sources :
1. Ecouter à ce propos l’interview d’Isabelle Hanifi : L’empathie, un super pouvoir. https://shows.acast.com/savvier-innovation-backstage/episodes/lempathie-un-super-pouvoir

A propos des auteurs

Élodie Perreau

Consultante anthropologue, accompagnement des transformations. Docteur de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Élodie accompagne des collectifs de travail en décryptant les leviers culturels à l’œuvre dans le changement.

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