Carnet de route : Osez l’effet terrain !

Antrop - Diagnostic de pratiques managériales et charte management.

Carnet de route : Osez l’effet terrain!

 

Dans ce billet de blog qui fait partie de notre série « Carnet de route », nous partageons avec vous un principe d’action qui nous est cher et dont nous mesurons la pertinence au fil des missions : Osez l’effet terrain !

Dans le monde idéal du management et dans la réalité de bien des équipes il y existe une connexion, une interaction constructive entre le manager, dirigeant ou chef de projet et son équipe. Mais le lien peut parfois se distendre, voire se tendre, surtout quand la pression exercée sur le manager est forte, quand les décisions à prendre sont lourdes et complexes.
Lorsqu’alors le manager se désole : « L’équipe ne se rend pas compte de la situation et des efforts qu’on fait pour eux ! » ou pire « On dirait qu’ils y mettent de la mauvaise volonté, qu’ils veulent saboter ce nouveau projet si important pour l’entreprise ! »

Il est temps d’oser l’effet terrain !

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Mais alors, comment faire ? 

Une exploration préalable de la réalité des acteurs de terrain, de leurs contraintes, de leurs besoins et de leur ressentis face à un projet peut éviter un effet «retour de boomerang» aux effets mal maîtrisés.

Même pas peur !

Le premier pas est d’oser. Que vous soyez dirigeant ou manager, avant de prendre une décision : Osez écouter ! Osez observer ! Osez explorer ! Osez confronter vos certitudes aux contraintes et aux besoins réels du terrain.

 Jean-Marc Cazeneuve, associé Antrop, rappelle qu’aux sources de la démarche Lean (celle qui prend en compte les hommes et les femmes concernés par un projet), cela s’appelle le GEMBA Walk : « aller voir les situations et les problèmes là où ils se trouvent » afin de comprendre les choses de manière concrète, à partir d’exemples réels.

Je me souviens de la crainte de deux managers à organiser un séminaire avec leur équipe d’une quinzaine de personnes pour mettre en place de nouveaux modes de fonctionnement. Je me souviens également de l’étonnement de ces deux managers à la fin de la matinée : « Mais en fait… personne ne s’est plaint ! » Chacun avait pu exprimer ses contraintes et ses besoins et chacun avait pu entendre ceux des autres. L’équipe avait également réfléchi en sous-groupes aux besoins de l’équipe et de l’entreprise. Cette mise à plat et cette écoute mutuelle ont nourri l’ouverture d’options pour mieux travailler ensemble lors du deuxième séminaire.

En Sciences sociales, on parle de démarche inductive vs démarche déductive. Cela veut dire que l’on part de l’observation pour comprendre une situation, et non pas d’un modèle ou d’hypothèses prédéfinies que l’on confronterait au réel.

Prendre le temps de l’écoute de l’observation et de la synthèse a des vertus insoupçonnées. Ce qui peut apparaître comme une « perte de temps » est en fait un « investissement » qui permet d’en gagner par la suite.  

LES TENTATIONS FACE A L’APPREHENSION DU TERRAIN :

  • Rester dans sa « tour d’ivoire ». Quelle est la vôtre ?
  • Avancer dans l’évidence. « Je sais donc je suis ».
  • Se contenter de la lecture de pensée. « C’est ce qui leur convient. » « Ça va passer. »

L’effet terrain, c’est le contraire de tout cela, c’est aller au-devant du principe de réalité. L’effet terrain, c’est faire remonter des informations sur les contraintes que génère un projet. C’est aussi accompagner les décideurs à écouter et prendre en compte ces éléments pour nourrir et affiner leur projet. À la fois dans son contenu, mais aussi dans la façon de le présenter aux équipes et de lui donner du sens. Cela oblige à l’expliciter davantage.

L’effet terrain, c’est choisir d’agir dans le principe de réalité

A titre d’exemple, une cliente s’évertuait à expliquer aux équipes que si elles ne se mobilisaient pas pour accepter l’évolution de leur métier qui intégrait de nouvelles technologies liées à l’IA, l’entreprise courrait à sa perte. L’exploration de l’histoire de cette entreprise a montré qu’à chacune des crises qu’elle avait vécues, l’actionnaire avait réinjecté de l’argent pour la soutenir, et que le nombre d’emploi avait augmenté à chaque fois. Le discours alarmiste ne venait que renforcer la conviction des salariés qu’il était grand temps de ne rien changer ! À la lumière de cet « effet terrain », nous avons recentré la démarche sur le sens que les salariés accordaient à leur mission en s’appuyant sur la vocation (venir en aide aux usagers) pour repenser l’intégration de l’IA en cohérence avec la finalité de l’activité.

Autre exemple, celui d’une entreprise qui souhaitait se transformer pour amplifier la diffusion de ses recherches appliquées en matière de développement durable. Le projet dans le contexte actuel de dégradation de l’environnement et du climat est essentiel et fait sens. De nombreux documents PowerPoint avaient été produits pour expliquer l’ambition et la stratégie. Cependant, les équipes restaient frileuses, voire inquiètes, face à ce projet en raison de leur charge de travail déjà conséquente et de l’évolution de culture métier que cela impliquait. Le dirigeant, par son enthousiasme et l’ambition de son projet n’arrivait pas à intégrer les contraintes et les risques associés. Il était dans une posture de « promotion », essayant de convaincre les salariés du bien -fondé de la démarche. Nous avons organisé des réunions de travail avec le CODIR élargi afin de prendre en compte à la fois son ambition et la réalité du terrain, en clarifiant et en formalisant les risques associés au projet, afin de les prendre en compte dans la conception et la mise en œuvre de la transformation.

I – ALLER SUR LE TERRAIN POUR MIEUX COMPRENDRE LES CONTRAINTES MATERIELLES

Une célèbre entreprise de location de voiture envoie ses cadres dirigeants quelques jours chaque année dans une agence pour vivre « la réalité » et, par exemple, expérimenter la gestion d’une location de voiture lorsque l’imprimante de l’agence tombe en panne. Ils plongent alors pleinement dans les contraintes rencontrées par les équipes sur le terrain.

L’enquête de terrain permet d’explorer plusieurs dimensions : est-ce que le projet a des impacts financiers ? Génère-t-il des contraintes d’espace ? Nécessite-t-il des apprentissages ? Ce projet qui vise à « renforcer la transversalité » ne vient-il pas attiser la peur de perdre du pouvoir ? Une mauvaise expérience passée ne vient-elle pas parasiter les ambitions ? Quels sont les risques perçus ? Cette liste de question est loin d’être exhaustive. L’anthropologue Dominique Desjeux parle de 11 contraintes réparties dans 3 grandes catégories [1] :

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II –  ALLER SUR LE TERRAIN POUR DEVOILER LA CULTURE D’ENTREPRISE

Une dimension essentielle, invisible au premier abord mérite d’être explorée : la culture d’entreprise. Par exemple, dans le cas d’un projet d’entreprise, le recueil d’informations peut permettre d’évaluer s’il est compatible avec celle-ci.

Ne vient-il pas heurter les collaborateurs dans leur identité professionnelle ? Lors d’une fusion, l’enquête de terrain permet de faire émerger les réflexes professionnels qui semblent naturels et qui sont pourtant bien culturels (voir la vidéo « Un anthropologue c’est quoi) [2]. Lors de la rencontre d’une culture transversale qui encourage la flexibilité « pour être plus réactifs » et d’une culture hiérarchique avec davantage de process « pour être efficace », inévitablement, le dialogue se tend rapidement et génère des incompréhensions, jusqu’à arriver à des impasses. Ces tensions peuvent générer des risques psycho-sociaux et du mal être, qui viennent impacter négativement l’activité, ce qui ne fait qu’accentuer les tensions. « L’effet terrain » vise à formaliser, à rendre visible ces deux modes de fonctionnement légitimes au regard de l’histoire de chacun des entités. Cela permet de faire baisser la pression entre les parties prenantes. Pour maintenir le cercle vertueux de la prise en compte des modes de fonctionnement de l’autre, la structuration d’une démarche à travers des groupes de travail est nécessaire. Cela répond à un besoin d’implication de ceux qui sont dans le « réel ». Ce sont eux qui sont le plus à même d’identifier les obstacles et de proposer des idées et des ajustements pour le déploiement d’une solution.

Là encore se poursuit l’effet terrain dans la concertation. Cela permet d’aller plus loin dans la prise en compte des contraintes et des besoins réciproques au service d’une finalité commune.

L’exploration du « terrain », à la fois via des entretiens et des observations en situation, peut être confiée à des intervenants extérieurs expérimentés et rompus à ces techniques. Autre vertu, le recueil confidentiel d’information peut être facilité par le fait que les personnes sont extérieures à l’entreprise. Le risque perçu (et réel ?) de partager son expérience est moindre qu’en s’adressant à des interlocuteurs internes. Cela libère la parole. Il est aussi possible de poser des questions sur des sujets qui semblent aller de soi. De s’étonner de certaines pratiques, de détailler les façons de faire. Ce qui semblerait étrange pour des collègues. Cela permet de « ne pas avancer dans l’évidence » comme pourrait le faire des managers en interne, avec leurs « filtres » et les biais associés à leurs enjeux et à leur fonction dans l’entreprise.

En résumé

Les managers travaillent au quotidien avec leurs équipes, ils les connaissent, mais quand les temps sont durs que les décisions à prendre sont complexes, « oser l’effet terrain » est un réflexe salvateur qui permet de dépasser l’évidence. Oser l’effet terrain permet de passer du discours « Les collaborateurs n’ont rien compris à la nouvelle stratégie ! », « Il faut les former », à « Ah… en fait c’est pour ça ! » « Je comprends mieux ce qui bloque ».

En prenant le temps de l’exploration des contraintes en amont d’un projet le dirigeant se donne les moyens d’un projet réaliste. En poursuivant l’analyse par des groupes de travail qui visent à la prise en compte des contraintes et des besoins réciproques, il se donne les moyens d’un projet réalisable. C’est un gain de temps et d’énergie, et cela permet de sécuriser la conception d’un projet et de donner plus de puissance à son déploiement.

ALORS, PRETS POUR L’EFFET TERRAIN ?  

[1] Voir à ce sujet les contraintes matérielles par Dominique Desjeux  https://www.youtube.com/watch?v=8yilu9CWjww
[2] « Un anthropologue, c’est quoi ? » reprend l’exemple du choc des cultures dans un contexte de fusion  https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=-FvD6LsdF4A

A propos des auteurs

Élodie Perreau

Consultante anthropologue, accompagnement des transformations. Docteur de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Élodie accompagne des collectifs de travail en décryptant les leviers culturels à l’œuvre dans le changement.

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