Carnet de route : Lorsque l’inertie s’installe dans les initiatives collaboratives
Bienvenue dans ce nouvel épisode « Carnet de route » : notre série de posts sur nos convictions issues du terrain, nos retours de missions et nos conseils pour passer à l’action. Si nous vous disons « collaboration », qu’est-ce que cela vous évoque ?
« Collaborer c’est risqué et ça fait peur ! »
…et pourtant “dans la longue histoire de l’humanité, ceux qui ont appris à collaborer et à improviser le plus efficacement l’ont emporté” Charles Darwin.
La collaboration n’est pas un acte gratuit mais elle est motivée par la recherche d’un bénéfice direct ou indirect. Cet article propose une réflexion sur les liens entre la confiance ressentie et les modalités de collaboration qui contribuent à la réussite d’un projet collaboratif.
Agir sur le levier de la confiance semble une évidence et pourtant en pratique la question qui revient régulièrement est comment m’y prendre ?
LA COLLABORATION : UNE DEMARCHE QUI NE VA PAS DE SOI
Avez-vous déjà eu la sensation de vous « enliser » dans le cadre d’un projet d’entreprise ? Le projet n’avance pas, les acteurs ont du mal à se parler ou sont perdus… Pour préverser leur performance les organisations ont de plus en plus recours à des collaborations afin de profiter de complémentarités leur permettant de construire plus grand ce qu’elles ne pourraient faire seules. Pour autant les collaborations ne sont pas toujours choisies mais imposées par une obligation à faire avec d’autres. Cette situation est fréquente dans les projets collaboratifs que l’on peut définir comme des projets définis et mis en œuvre par un ensemble d’acteurs d’organisations différentes et dont les résultats répondent à des besoins individuels et collectifs“ (1). Ce sont par exemple les programmes de transformation intra-entreprise imposés par une direction à ses Business Units ou les projets de co-innovation inter-entreprises dont les financements sont conditionnés par une obligation à collaborer avec d’autres organisations (cofinancements publics par exemple). Dans ce cadre, les freins potentiels sont nombreux : divergences d’objectifs, incompréhensions, conflits d’intérêt…
Si l’objectif d’une collaboration est de créer de la valeur ensemble, alors pourquoi l’inertie collaborative est-elle si souvent le résultat ?
Rendre une collaboration efficace est fortement consommateur de ressources et souvent douloureux. Certains chercheurs (2) vont même jusqu’à recommander de ne pas travailler de manière collaborative sauf si cela est obligatoire. Si certains contextes favorisent la future collaboration et d’autre moins, la question légitime que tout dirigeant doit se poser est « faut-il persister à collaborer alors que les conditions de succès ne sont pas réunies ? ».
Chez ANTROP nous sommes convaincu qu’une collaboration peut réussir malgré un contexte difficile, mais pour cela il faut savoir diagnostiquer la situation, identifier et actionner les bons leviers.
La confiance : un levier à activer
La confiance est considérée comme le ciment des relations de collaboration (3) et facilite la réussite des projets (4). Mais la confiance c’est quoi ?
La confiance est une croyance vis-à-vis d’autrui et notamment avoir confiance en quelqu’un, c’est croire qu’il peut ou veut agir de façon positive (5) :
- L’autre PEUT agir de façon positive et compétente, c’est la croyance dans les capacités de l’autre à réaliser la tâche. Cette confiance est usuellement appelée la Competence trust que l’on pourrait traduire par la “confiance dans la capacité à faire de l’autre”.
- L’autre VEUT agir de façon positive et bienveillante, c’est la croyance dans l’engagement de l’autre à agir de façon positive en cas d’imprévu. C’est la Goodwill trust que l’on pourrait traduire par “confiance dans la bienveillance de l’autre”.
Croire en la capacité de l’autre et sa bienveillance favorise l’émergence d’un collectif
Si ces deux typologies de confiance peuvent cohabiter et se compléter dans une même relation, chacune induit des comportements et pratiques différentes comme le résume le tableau suivant :
Mais il existe plusieurs manières de voir la confiance
Une autre manière de définir la confiance comme la volonté d’une partie d’être vulnérable aux actions d’une autre partie sur la base de l’attente que l’autre partie effectuera une action particulière importante pour le donneur de confiance, indépendamment de la capacité à surveiller ou à contrôler cette autre partie (6). Cette définition pose la question du « risque perçu » par la partie consentant à être vulnérable.
La notion de confiance est subtile et chacun possède sa propre perception à la fois de ce qu’est la confiance et de la façon de l’évaluer dans une situation donnée
Évaluer une situation de collaboration revient donc à évaluer des croyances car ces dernières vont influencer les comportements et le succès de la collaboration.
Concrètement plus les enjeux de la collaboration et les interdépendances entre acteurs sont forts, plus la confiance agira sur le succès du projet.
Un bon niveau de confiance influe positivement sur l’engagement et la durabilité de la collaboration, sur les coûts liés aux échanges d’information et aux prises de décisions (le risque perçu étant plus faible). De même un bon niveau de confiance fait émerger de nouvelles opportunités ce qui permet au projet de dépasser ses objectifs : passer au fameux « 1+1 = 3 » et faire émerger les opportunités latentes car on a la sensation de pouvoir partager nos idées et informations sans risque qu’elles soient utilisées à mauvais escient.
Tout pousse donc à favoriser un climat de confiance, mais encore faut-il connaître et utiliser les bons composants de la confiance.
Les composantes de la confiance et les éléments qui la favorisent
Les mécanismes de construction de la confiance sont complexes car de nombreux facteurs interagissent entre eux. Pour comprendre ce qu’est la confiance nous pouvons regarder ce qui la favorise (5). Pour chacun des éléments favorisant la confiance nous posons la question que le manager doit se poser pour que puisse émerger cette dernière :
- La croyance en la capacité à faire de l’autre (Competence trust) et la croyance dans sa bienveillance (Goodwill trust) sont deux éléments essentiels.
> Comment créer des perceptions positives de l’autre tirées d’expériences passées ou de réputations pour lesquelles un tiers de confiance peut jouer un rôle clé ?
- Avoir des points communs contribue à instaurer la confiance : des similitudes, la sensation réciproque d’équité dans la relation, des objectifs et des valeurs en commun.
> Comment des « communs » peuvent-ils être identifiés et/ou consolidés conjointement au démarrage d’une relation ?
Identifier, rassembler et mettre en œuvre les bons ingrédients de la confiance est un travail d’équipe !
D’autres éléments moins intuitifs peuvent faciliter la confiance :
- Les dépendances réciproques : j’ai confiance dans le fait que l’autre agira positivement car nos réussites ou échecs sont étroitement liées.
> Comment identifier et utiliser les dépendances perçues ou réelles dans une collaboration ?
- L’existence de sanctions institutionnelles et sociétales facilite la confiance entre partenaires (7). En effet, si les sanctions sont jugées suffisamment fortes en cas de manquement, alors chacune des parties jugera que le risque est faible pour que l’autre partie soit défaillante.
> Comment, par exemple dans le cadre d’un accord de consortium, mentionner des sanctions en cas de manquement d’une des parties ?
- L’existence d’un « risque fédérateur » (un risque pour lequel, s’il survient, l’ensemble des parties sont impactés) semble favoriser une cohésion plus forte entre les partenaires : « on ne pouvait pas faire autrement que de se faire confiance » (9).
> Comment créer un risque fédérateur tout en préservant éthique et respect des parties prenantes impliquées dans le projet ?
Paradoxalement si la confiance contribue au succès des projets, une trop grande confiance peut aussi être contre-productives : il faut un juste niveau de suspicion entre les partenaires afin que celle-ci agisse positivement sur la relation (8). En effet une suspicion trop faible provoque susceptibilité et déception due à la sensation d’être délaissé, alors qu’une suspicion trop forte diminue motivation et capacité de jugement à cause de la sensation d’être surveillé en permanence.
Pour le manager trouver le bon équilibre entre confiance et modalités de collaboration peut se révéler être un défi et, comme pour tout système complexe, il n’existe pas de solution unique. Faire l’effort d’analyser et de s’adapter en continu par essais-erreurs, est souvent déjà un bon premier pas !
En synthèse : Comment faire pour débloquer vos projets collaboratifs ?
La capacité à collaborer a toujours été un facteur de compétitivité pour l’entreprise et elle est aujourd’hui vitale pour réagir face aux demandes du marché. Il est nécessaire d’adapter les pratiques classiques de management de projet pour augmenter les chances de succès des projets collaboratifs.
Agir sur le levier de la confiance semble une évidence et pourtant en pratique la question qui revient régulièrement est comment m’y prendre ?
Pour avancer sur ce sujet complexe nous proposons aux managers de travailler son plan d’action sur deux axes bien distincts :
1. Un axe vise à analyser et améliorer l’état de la confiance établie entre les acteurs de la collaboration : nous avons partagé à titre d’exemple quelques pistes concrètes, mais les sciences comportementales nous permettant d’aller encore plus loin !
2. Un axe vise à préserver la performance de la collaboration en adaptant les modalités de collaboration au niveau de confiance même si ce dernier est faible : nous avons partagé plus haut quelques pistes mais pour aller plus loin il faut que le manager adresse deux pratiques fondamentales des projets :
> Les processus de gouvernance au sens large, notamment : comment sont prises les décisions sur les rails stratégiques, tactiques et opérationnels ? Comment gérer les conflits ?
> Les processus d’ingénierie de la solution: quelle que soit la nature de la solution développée par le projet, qu’elle soit technique ou non, comment allons-nous concevoir et produire cette solution ?
Le sujet est vaste et pose des débats nombreux notamment sur la réelle performance d’une gouvernance plus horizontale que verticale, ainsi que la pertinence à appliquer une approche de conception en agilité (dont un des prérequis est la confiance réciproque entre acteurs).
La question qu’un manager peut se poser est « doit-on adapter le modèle aux équipes ou adapter les équipes au modèle ?
Un autre sujet pouvant être débattu est celui de la « Qualité de Vie sur les Projets ». En effet il est démontré que des relations de qualité ont un impact positif sur la santé des collaborateurs. Or le fonctionnement en mode projet devient plus courant et des modalités de collaboration adaptées peuvent contribuer à créer une atmosphère de travail à la fois efficace et apaisée.
Pour conclure gardons à l’esprit que ces croyances, et notamment celles qui influencent la confiance s’inscrivent dans un modèle dynamique qui évolue avec le temps. Les modalités de collaboration doivent s’ajuster régulièrement pour que la collaboration soit fructueuse et dépasse les bénéfices initialement espérés !
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Sources :