Lorsque manager ne fait plus rêver…

Antrop - Diagnostic de pratiques managériales et charte management.

Haro sur le management : réflexions et convictions sur la crise du management dans les organisations

 

« Devenir manager » voilà une promesse qui il y a encore quelques années suffisait à motiver les jeunes embauché.e.s ou constituait un jalon dans un plan de carrière, comme une promesse à des cadres en attente d’évolution professionnelle (c’est une observation récurrente dans les organisations que nous accompagnons). Les choses ont radicalement changé : si devenir manager non seulement ne fait plus rêver, ce métier (car c’est un métier plus qu’un statut) est devenu un vrai repoussoir pour de nombreux salariés.

Comment la situation s’est-elle retournée en 10 ans ? …alors que nous avons besoin, encore plus qu’avant, de bons managers !

Une lente érosion du prestige managérial… commencée il y a 10 ans

Comme l’érosion des côtes, la dégradation de la perception du management s’est faite petit à petit et c’est lorsque les falaises s’effondrent que les consciences se réveillent. Deux éléments me semblent avoir contribué de façon notable à cette lente érosion depuis 10 ans en France :

  • La vague de l’entreprise libérée (de son management) avec la sortie de l’ouvrage « Liberté & Cie » fin 2012. L’engouement pour les publications et les conférences associées a été massif. Qui n’a pas été initialement séduit ou interpellé par cet ouvrage ? J’ai moi-même assisté à plusieurs évènements : au-delà de la pluralité de l’audience, j’ai été marqué par l’intérêt de tous (dont des managers) pour cette réflexion.
  • L’accélération du phénomène start-up. C’est en 2013 que le gouvernement Français crée l’initiative French Tech, visant notamment à fédérer sous un même label les entreprises « innovantes » … posant un nouvel imaginaire entrepreneurial (1).

Ces 2 évènements (parmi d’autres) ont chacun à leur façon diffusé une petite musique que nous avons tous entendue : le « no management » (la réduction importante de l’action managériale au profit de l’autonomisation des équipes) « permettait » de gérer de manière plus humaine les salariés, d’être plus « cool », moins rigide, plus agile, plus proche des clients, plus responsable…bref, la panacée. La « ringardisation » du management était amorcée, telle que les effets de mode en économie décrits par J.K. Galbraith (2).

 

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La mode de l’entreprise libérée (de son management) et l’accélération du phénomène start-up ont contribué à la ringardisation du management.

De la voie royale à l’évitement

Devenir manager ne fait plus rêver, des études effectuées en France mais aussi à l’étranger l’attestent :

  • Dès 2018, l’Observatoire Cegos (3) établit que près de 2/3 des salariés français n’aspiraient pas à prendre des responsabilités managériales ou d’encadrement.
  • En 20202, le Boston Consulting Group (4) diffusait une enquête (effectuée avant la crise sanitaire) selon laquelle seul un employé occidental sur dix aspire à devenir manager, et 24 % préféreraient même “conserver leur emploi actuel, plutôt que d’accepter une promotion” et recevoir des responsabilités de gestion. En France, 85% des managers estiment que leur métier est plus compliqué qu’auparavant, 78% se sentent aussi plus débordés et 59% davantage démotivés qu’avant.

En l’espace d’une dizaine d’années, le management n’est plus une perspective motivante. Une situation qui déstabilise les organisations qui peinent à pourvoir ces postes. Mais alors pourquoi un tel désamour pour ce qui était considéré il y a quelques années comme l’étape obligée d’un parcours professionnel réussi ?

A l’heure du travail hybride, la fonction managériale ne fait plus envie

Depuis la crise sanitaire qui a bouleversé l’organisation du travail dans de nombreuses structures (5), les managers font face à des enjeux d’une nouvelle complexité due au déploiement massif du mode hybride. En plus d’assurer l’activité des équipes, gérer et développer les collaborateurs, défendre et incarner la stratégie de l’entreprise, gérer les plannings, le budget… il faut désormais maintenir l’efficience des équipes en mode hybride (6). Les managers peinent à mobiliser les collaborateurs qu’ils croisent beaucoup plus rarement dans les bureaux et dont certains affichent des signes de désengagement (7).

S’il y a quelques années, la fonction managériale s’apparentait aux « 12 travaux d’Hercules », aujourd’hui je dirais que c’est presque « Mission Impossible ». Les termes de l’équation ont radicalement changé et parallèlement le niveau d’attente des organisations vis-à-vis de leurs managers est resté le même, voire s’est renforcé… sans forcément leur apporter une aide sur les nouveaux défis.

Un diagnostic aux multiples facettes  

Alors pourquoi tant de désamour avec ce qui devrait être considéré comme un poste « noble » au service de l’organisation et des salariés ? Les raisons sont multiples, j’en identifie 4.

1- LA CONFUSION ENTRE LE METIER ET LE STATUT

« Être manager » est souvent envisagé comme un statut plutôt qu’un « vrai » métier à part entière avec ses défis et ses compétences. J’observe de nombreux cas où les primo-managers n’ont parfois jamais reçu de formation managériale lors de leur prise de poste… tout se passe comme si le titre suffisait à adopter les bons comportements. Nombre d’organisations considèrent encore trop souvent le management comme la seule forme d’ascension professionnelle possible. Nous connaissons tous le cas d’experts-métier se voyant « promus » à une fonction managériale pour laquelle ils n’ont ni une véritable appétence, ni acquis les compétences nécessaires. On observe bien souvent dans ce genre de situation que ces « managers-experts » sont malheureux dans leur nouveau poste qui les coupe du rôle opérationnel quotidien qu’ils appréciaient tant.

PISTE D’ACTION : RENFORCER L’ACCOMPAGNEMENT LORS DE LA PRISE DE POSTE

Devenir manager, c’est adopter une nouvelle posture, faire face à des situations jamais rencontrées : savoir donner du feedback (pour féliciter ou aider à progresser), savoir dire « non », savoir arbitrer, piloter, coacher, communiquer, animer etc. Des gestes du quotidien managérial qui s’improvisent rarement au risque de multiplier les faux pas. Si les formations sont nécessaires, elles doivent être complétées par des programmes sur la durée comme des suivis réguliers sur les pratiques, du coaching ponctuel ou la mise en place de partage de pratiques.

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Manager ne s’improvise pas : c’est à l’organisation d’accompagner les prises de postes et le développement des managers.

2- UNE FONCTION INSUFFISAMMENT VALORISEE ET RECONNUE : LE SYNDROME DU PASSE-PLAT

Force est de constater que de nombreuses organisations considèrent leurs managers (je pense particulièrement au management de proximité et au management intermédiaire) comme de simples courroies de transmission… servant une vision très mécaniste de l’entreprise (pour rappel, sur l’organisation mécaniste : 8). Pour faire simple, le « top management décide, les managers de terrain exécutent ». Cette vision des choses réduit les managers à de simples rouages les excluant de facto de leurs rôles (notamment) de coconcepteurs actifs de l’avenir de l’entreprise, ou de facilitateurs de liens entre les différents métiers de l’entreprise.
L’exercice de la fonction managériale comporte beaucoup d’implicites au quotidien, les marges de manœuvre, le périmètre d’action ne sont pas perçus de manière claire ni identique entre les personnes.

PISTE D’ACTION : (RE)DEFINIR LE PERIMETRE D’ACTION MANAGERIALE

Une première étape pourrait déjà consister à (re)partager les attentes de l’organisation vis-à-vis du rôle des managers, en clarifiant les fameux implicites listés précédemment. Ce partage (ou cette clarification) peut se mener de différentes manières : des échanges entre les managers et leur N+1, un séminaire, des groupes de codéveloppement managérial etc. Loin d’être une évidence pour tous, ces attendus font parfois l’objet d’une formalisation très officielle dans certaines organisations…au-delà de l’effet checklist scolaire, cette démarche présente l’intérêt de rendre visible ces fameux attendus.
Une seconde piste consiste à formaliser la fameuse « marge de manœuvre » laissée aux managers : c’est ce que nous appelons « la zone rouge et la zone bleue » (9).

 

 

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La solitude du Manager : un sentiment largement partagé dans les organisations. En mission nous avons souvent entendu « nous sommes entre le tronc et l’écorce ».

3-  LA SOLITUDE DU MANAGER

Ce sentiment est largement partagé parmi les managers, il est exacerbé dans les situations difficiles (par ex. un conflit avec un salarié, faire face à une situation complexe, un arbitrage etc.). Lorsque je leur demande s’ils ont la possibilité d’en parler avec leurs pairs, le manque de temps et la difficulté à dire « je n’y arrive pas, je ne sais pas faire » sont régulièrement invoqués. Difficile pour eux de créer les conditions pour discuter et partager entre managers, si ce n’est lors d’une pause-café ou un déjeuner.
Globalement, cette solitude du manager ressemble à un énorme paradoxe, car l’un des rôles du manager est notamment de faciliter le travail de ses équipes avec les autres parties prenantes de l’entreprise. Le manager est un garant de la transversalité au sein d’une organisation !

PISTE D’ACTION : DEVELOPPER LA COMMUNEAUTE MANAGERIALE

Ici l’entreprise a un rôle à jouer, en instaurant par exemple des séances de codéveloppement professionnel (le fameux CODEV) permettant au collectif managérial de se retrouver en petit groupe avec une fréquence régulière et échanger autour de situations concrètes (un problème, une préoccupation, un projet). Elle peut également mettre en place une communauté managériale destinée à faire grandir ces derniers (conférences, échanges, retour d’expériences, ouvertures sur d’autres pratiques).

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Parmi les causes de ce désamour, l’ombre du petit chef toxique plane dans les esprits.

4-  L’IMAGE DU MANAGER TOXIQUE  OU L’OMBRE DU « PETIT CHEF »

J’ai été interpellé par l’usage de l’image du « petit chef » ou le terme de « management toxique » repris dans des blogs et des webinaires sur le management. La perception de la fonction managériale pâtit de l’image d’un management vertical, sans reconnaissance ni bienveillance vis-à-vis des équipes, une logique de pré-carré sans connexion avec les autres équipes, une vision étriquée de l’activité ou l’absence de priorité donnée au développement des collaborateurs… bref un management basé sur le principe de vassalité. Si cette réalité n’est pas majoritaire, elle influence fortement l’image de la fonction managériale et peut décourager.

PISTE D’ACTION : REMETTRE L’EXEMPLARITE AU COEUR DES PRATIQUES MANAGERIALES 

S’il est difficile voire impossible de modifier les représentations circulant sur les réseaux, en revanche à l’échelle de l’entreprise appliquer le principe du « lead by example » peut aider à rapidement modifier la perception de la fonction de manager. Cette exemplarité (à tous les niveaux) permet de restreindre les comportements de petits chefs et renforcer le lien entre les managers et leurs équipes.

En résumé

La fonction  managériale tant admirée par le passé traverse une crise quasi-existentielle. Insuffisamment valorisée dans de nombreuses organisations, son image s’est fortement ternie ces dernières années… la crise du Covid-19 (et la transformation des modes de travail ) a accéléré cette descente aux enfers. Beaucoup de managers sont aujourd’hui dépassés dans leurs nouvelles conditions d’exercice, pire encore « on ne veut plus être manager ».

Aux défis inhérents à la mission managériale s’ajoutent la solitude de la fonction et parfois l’absence de considération voire d’appui dans le développement des compétences.  Pourtant, les organisations ont toujours besoin de ce métier de service (et non de pouvoir) pour soutenir les équipes et garantir leur succès.

Il est possible de redorer le blason de la fonction managériale en s’appuyant sur une démarche volontaire et des actions simples. Initier une telle dynamique permettra non seulement de soulager les intéressés mais également de donner envie aux non-managers de tenter l’expérience…

 

 

(1) https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2021-rapport-rec-lemploi_dans_les_start-up.pdf
(2) https://www.grasset.fr/livres/les-mensonges-de-l-economie-9782246674917
(3) https://static3.cegos.fr/content/uploads/2018/11/15181253/cegos-2018-r%C3%A9sultats-complets-radioscopie-des-managers.pdf
(4) https://www.bcg.com/publications/2020/end-management-as-we-know-it
(5) https://antrop.fr/pas-facile-la-mise-en-place-du-travail-hybride/
(6) https://antrop.fr/le-manager-pierre-angulaire-du-travail-hybride/
(7) https://antrop.fr/maintenir-lengagement-lorsque-tout-fout-le-camp/
(8) https://antrop.fr/optimiser-lexcellence-operationnelle-avec-la-sociodynamique/
(9) https://antrop.fr/comment-travailler-sur-le-droit-a-lerreur-pour-renforcer-lefficience-de-votre-organisation/

A propos des auteurs

Jean-Marc

Consultant en excellence opérationnelle, agilité et accompagnement des transformations. Ingénieur centralien, Master Black Belt Six Sigma, il a rajouté plusieurs cordes à son arc (coaching, co-développement professionnel, Agilité, Design Thinking). Il est également administrateur de l’Institut de Sociodynamique.

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